Agriculture alpine

Biographie

Par Jean-Luc Coussy

  • Montagne vivante

    Bernard GUYOT

  • Un promeneur attentif à partir d’un sommet ou d’un promontoire peut appréhender l’importance de l’impact de l’agriculture sur les milieux montagnards en observant les paysages. Ici une clairière en rupture de pente indiquant une ancienne terrasse céréalière, là un sentier suivant un canal d’irrigation tracé suivant les courbes de niveau et là encore des clapiers, accumulation de pierres pendant des siècles. Mais c’est aussi des cultures de vallées, des vergers, des plateaux où dominent, en un dégradé de camaïeu vert et jaune les prairies et les céréales. Les visions d’un géologue, d’un agronome, d’un botaniste, d’un forestier ou d’un historien doivent se croiser pour traduire toutes les richesses de l’empreinte des agriculteurs sur le milieu montagnard.

    Car la montagne, c’est l’obstacle du relief qui entraîne l’exiguïté des terres cultivables, qui gêne et empêche les communications économiques et humaines. C’est « l’infirmité de la pente » selon l’expression du Doyen Paul Veyret (1). C’est aussi la contrainte du climat qui conjugue dans les Alpes du sud les influences méditerranéennes et alpines, limitant ainsi les zones de production végétales.

    La pénétration des Alpes s’amorce dès le néolithique moyen, la partie méridionale du massif était déjà bien peuplée. Des sites datant du IIIe millénaire avant notre ère attestent de cette occupation dans le Diois, la vallée de l’Isère près de Chambéry et du lac du Bourget au pied des Bauges. Cette colonisation n’est pas seulement pastorale mais aussi et surtout agricole : essartage de la forêt par le feu, cultures de céréales, de quelques légumineuses (pois, lentilles…) et création de pâturages. Les activités agricoles et pastorales vont toujours de pair avec la cueillette et la chasse.

    L’avènement de la métallurgie et avant tout de la maîtrise du bronze (IIe millénaire et Ier millénaire), sans bouleverser les techniques agricoles fondamentales, ont permis un peuplement continu du massif alpin du Jura aux Alpes littorales.

    Des premières occupations permanentes jusqu’à nos jours, le massif alpin a toujours constitué un territoire de refuge. Refuge climatique au cours de son peuplement : les ressources en eau sont toujours plus régulières qu’en plaine et assurent une plus grande régularité de récolte malgré la rigueur du climat et d’approvisionnement en énergie hydraulique. Refuge de populations chassées par des guerres et les conflits religieux amenant une colonisation toujours plus lointaine dans les fonds de vallées.

    Les difficiles conditions de vie ont forgé et enraciné un esprit de solidarité et d’entraide au sein des communautés paysannes montagnardes. L’évolution des techniques agricoles et l’augmentation des peuplements ont imposé très tôt de nouvelles organisations sociales. Pour la plupart, celles-ci ont pour origine l’utilisation et la gestion collective des territoires pastoraux. Ce qui a permis un exceptionnel développement de l’élevage paysan moyennant l’acceptation de pratiques communautaires contraignantes.  

    Des collectivités montagnardes se structurent telle l’association des confédérations de la zone de Briançon au XIIIe siècle. Ces structures sociales ont perduré pour certaines jusqu’à la Révolution (république des Escartons) et ont été le ferment d’organisations actuelles propres à la gestion et à l’aménagement de territoires montagnards ou à la mise en commun d’outils de production et notamment de fruitières. 

    Un aspect marquant de cette organisation paysanne est la gestion des alpages collectifs. Les alpages collectifs sont la clé de voute des systèmes d’élevage de montagne mais aussi de plaine avec les grands transhumants de Provence. Ils assurent l’alimentation des troupeaux bovins et ovins-caprins de la Saint-Jean à la Saint-Luc sous la garde de bergers, propriétaires d’animaux ou salariés saisonniers. Les ressources en herbes de ces pâturages d’altitude, d’une grande diversité botanique, assurent une qualité reconnue des produits animaux que ce soit le lait, la viande ou encore les génisses et agnelles de reproduction qui iront grossir les troupeaux à l’automne.   

    Les aménagements les plus remarquables ont été la création et l’entretien, au cours des siècles, de canaux d’irrigation avec la présence de ces ouvrages jusqu’à plus de 2000 mètres dans les massifs des Alpes du sud. Canaux taillés à flanc de falaises, passages sous tunnels, aqueducs pour traverser combes et rivières, ces ouvrages remarquables témoignent de l’opiniâtreté des paysans pour amener l’eau jusqu’aux champs. En haute montagne, chaque mètre carré de terrain cultivable ou de prairie compte et chaque brassée d’herbe est précieuse pour permettre au bétail de passer les 5 à 6 mois d’hivernage. L’autonomie fourragère est indispensable pour maintenir la pérennité économique de l’exploitation et l’arrosage est une assurance pour des récoltes régulières, les torrents en été n’étant pas avare en eau. 

    Autant la gestion du territoire et d’outil de production ont fait l’objet d’une approche collective et se sont inscrites dans le temps, autant la mécanisation a été une démarche la plupart du temps individuelle et récente. La possibilité d’acquérir des tracteurs de faible puissance (25 CV et moins), et notamment des motofaucheuses, a autorisé chaque exploitation, surtout dans les années 1960, à entreprendre une modernisation de ses méthodes de travail et à chercher à accroitre sa productivité en gardant le statut d’entrepreneur indépendant. La mécanisation a donné ainsi une image de modernité et de progrès aux agriculteurs. 

    Longtemps considérée en retard par rapport au progrès technique, l’agriculture alpine a misé sur des aspects, qui lui sont propres, pour lui donner aujourd’hui une image d’innovation et une dynamique, facteur de maintien d’emplois et de vie dans ces territoires.

    Ces nouvelles orientations ont été portées par des structures locales de développement comme la « zone témoin » dans le Queyras à partir de 1951 ou par des « sites d’agriculture durable » depuis les années 2000 sur plusieurs petites régions de l’Arc alpin. Des lycées agricoles et centres professionnels par des formations spécifiques sur la transformation des produits, sur l’accueil en milieu rural ou sur de nouvelles techniques agricoles spécifiques à la montagne ont été aussi des vecteurs de cette dynamique.   

    Les agriculteurs ont su saisir l’attrait touristique que suscite leur montagne, été comme hiver, pour occuper de nouveaux métiers en complément de leur activité principale, valoriser leur patrimoine bâti pour l’accueil touristique et surtout mettre en valeur leurs produits. La typicité et la renommée des fromages élaborés dans le massif ne sont plus à faire.

     

    (1) Les Hautes-Alpes, hier, aujourd'hui, demain, Pierre Chauvet, Paul Pons, Société d'Etude des Hautes-Alpes, 1975

    Extrait du film &quot;Montagne vivante&quot;<br />
    A l'automne, des montagnards dans un champ en pente se servent du bonneton pour remonter la terre du premier sillon vers le haut du champ. Puis ils utilisent la charrue construite en bois.<br />
    <br />
    Résumé du film<br />
    Bernard Guyot raconte la montagne, celle de la Savoie, autour de Notre-Dame-de-Bellecombe, avec sa caméra et son récit parlé, il s'attache, avec une grande sensibilité, à nous faire découvrir les habitants de la montagne. Dans un récit à la fois enthousiaste et teinté d'ironie, Bernard Guyot, qui fut curé de la paroisse de Notre-Dame-de-Bellecombe, nous dévoile la vie de sa communauté et des paysans en particulier, puis le début du tourisme hivernal, quand son village devient station de sports d'hiver.<br />
    Associant des images datant des années 1950 à 1974, Bernard Guyot fait dialoguer des scènes prises sur le vif avec des scènes de reconstitution pour mettre en avant à la fois les évolutions, mais également les continuités des pratiques en Savoie.
      • Année
      • 2014
      • Producteur
      • CINÉMATHÈQUE DES PAYS DE SAVOIE ET DE L'AIN
      • Réalisateur(s)
      • Bernard GUYOT