Faut-il être grand et costaud pour être un bon guide ? À voir la carrure d’Alexandre Burgener, le célèbre guide d’Albert Frédéric Mummery, on serait tenté de répondre par l’affirmative… Le colossal Alexandre, cependant, s’était adjoint les services d’un garçon moins charpenté, mais plus agile que lui, qu’il envoyait devant, dans les escalades acrobatiques. Benedikt Venetz a laissé son nom à la fissure terminale du Grépon, où l’embonpoint d’Alexandre n’était sûrement pas un avantage. Qu’on se rassure, la force avait repris ses droits : le guide, piolet brandi à bout de bras, fournit à son auxiliaire les prises de pied qui lui manquaient…
Avec l’augmentation des difficultés, la silhouette des guides s’amincit. Au début du XXe siècle, Franz Lochmatter ou Josef Knubel portent l’habit de guide avec élégance : aucune protubérance abdominale ne vient gêner le regard que tout bon grimpeur doit pouvoir porter sur ses pieds. Plus tard, dans les années 1920, Armand Charlet affiche une allure de félin. Le temps passant, la technique supplante la force pure, et certains guides officient malgré une carrure d’ablette. L’auteur de ces lignes en sait quelque chose…
La question de la force physique a remontré le bout de son nez quand des femmes ont imaginé pouvoir exercer cette profession exclusivement masculine. Depuis longtemps, pourtant, il y avait des femmes alpinistes… Si, de Marie Paradis, première femme au mont Blanc en 1811, à Catherine Destivelle, collectionnant avant 20 ans les escalades de grande classe, elles avaient trouvé leur place dans le monde de l’altitude et de la verticale, cela n’avait pas toujours été sans grincements de dents. Ainsi, lorsque Loulou Boulaz, alpiniste genevoise, compagne de cordée du grand guide Raymond Lambert, répète avec lui la face nord des Grandes Jorasses, en 1935. Le célèbre Giusto Gervasutti, présent dans la paroi car la compétition était grande pour réussir cette ascension, se montra gêné de voir " une faible femme " s’engager dans la face nord. Cela dévalorisait à ses yeux la performance qu’il s’apprêtait à accomplir. On imagine son rictus quand Loulou prit la tête de sa cordée ! Raymond Lambert connaissait les capacités de sa collègue, et ne dédaignait pas de l’envoyer devant dans des passages difficiles. Il n’y a pas qu’en matière d’alpinisme que Raymond était en avance sur son temps.
En 1979, Martine Rolland, première femme à devenir guide, en entendit de toutes les couleurs. Elle réussit fort bien à l’examen, puis exerça son métier de façon naturelle. Elle a fait depuis des émules. Encore peu nombreuses, mais toutes compétentes et appréciées. L’égalité ne sera atteinte que le jour où il y aura autant de mauvais guides chez les filles que chez leurs collègues masculins !
Une guide prodigue des conseils à ses clientes lors d'une course en montagne. L'ascension est entrecoupée de confidences sur son parcours : originaire d'une région de plaine, elle est venue à la montagne par l'escalade. Elle a toujours rêvé à l'idée de devenir guide, cependant cela lui semblait appartenir au domaine des choses impossibles. La tradition familiale aurait dû faire d'elle une boulangère. Elle a continué à grimper, puis l'arrivée de Martine Rolland comme aspirant-guide, une première, lui a donné le courage et l'énergie d'aller au bout de son rêve et de devenir guide à son tour. <br />
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Résumé du film<br />
C'est à travers un portrait de Françoise Aubert, guide de haute montagne, que Jean Afanassieff aborde l'évolution du métier dans un de ses premiers documentaires en 1990. Françoise Aubert encadre différentes cordées : escalade du Spigolo Giallo dans les Dolomites, escalade en falaise dans le Verdon et alpinisme dans le massif du Mont Blanc. La guide professionnelle commente l'enseignement des compétences techniques tandis que images d'archives et interviews de la fête des guides de Chamonix interrogent l'origine masculine d'une filière et d'une passion poursuivie à la fin du 20e siècle "autant par un homme que par une femme".<br />
- Année
- 1990
- Producteur
- MC4
- Réalisateur(s)
- Jean AFANASSIEFF
- Son
- Christophe BERTHOUX